Il y a des pays où tous les sens sont choyés, et le Japon en fait partie. Des odeurs aux couleurs, des sons aux goûts, le Japon que nous avons eu la chance de découvrir est un poème. Il laisse une empreinte indélébile.
Il fallait que nous nous rendions dans le Kensai, et plus précisément au sud d’Osaka, dans la région de Wakayama. La légende du Binchotan nous y a poussé.
Cela fait quelques années maintenant que nous utilisons et proposons des Binchotan, ces charbons actifs japonais. Utilisés essentiellement pour faire cuire les aliments, les Japonais en ont désormais une autre utilisation, plus récente, connue du grand public il y a à peine quarante ans. La filtration de l’eau pour boire le thé.
Nous avons essayés des charbons divers et variés aux coûts tous aussi variables. Des charbons « Binchotan » de Chine, du Laos, de Taiwan, de Corée et du Vietnam, fabriqués à partir d’arbres inconnus ou du chêne vert de Corée, cultivés et transformés dans des conditions sanitaires aussi inconnues. Mais au Japon, le savoir-faire des spécialistes est là pour recadrer tout cela et surtout donner le La par leur excellence.
Le Binchotan est Japonais ou ce n’est pas du Binchotan. Déjà il faut souligner que l’appellation Binchotan provient du nom d’un commerçant japonais qui en fit pour la première fois le commerce : Bichoya Chosaimon et Tan qui signifie tout simplement le charbon. Mais quel charbon ?! Celui qui nécessite une discipline, un savoir-faire et la perfection dans l’exécution.
En plein hiver, grâce à deux fonctionnaires du gouvernement Japonais, nous avons eu la chance d’assister à la sortie de véritables Bincho-Tan de fond de four.
La loge à charbon, juchée entre des monts du Kensai, près de Minabe, n’est accessible que par une route escarpée qui serpente entre les flancs des monts boisés de chênes vert Ubamegashi et de bambous. Elle est tenue par un père et son fils. Jours et nuits ils se relaient parfois pour assurer une production de Bincho-Tan d’une qualité jusqu’à ce jour insoupçonnée. Loin même des charbons présentés dans les magasins japonais spécialisés. Père et fils font tourner une loge à charbon qui comprend un espace de stockage et un four d’une vingtaine de mètres carrés. Four en terre qu’ils doivent reconstruire tous les cinq ans pour assurer la solidité du dôme. Ils ne travaillent qu’avec du Chêne vert Olm sauvage, lequel se raréfie du fait, entre autre, de la préférence régionale donnée à la production de l’Ume Boshi, cette prune séchée aux propriétés médicinales très intéressantes. La production locale représente 70% de la production japonaise des Ume et de ses dérivés . Dans cette région, il y a d’ailleurs deux musées, l’un dédié au Bincho-Tan, qui totalise une petite centaine de mètres carrés, isolé dans la campagne, accolé à un terrain de baseball et accessible uniquement en voiture car la compagnie locale de bus ne dessert définitivement plus l’endroit. Le conservateur est un passionné.
Et l’autre musée, bien plus grand et moderne, plus proche de la mer, est celui de l’Ume, la prune japonaise. Depuis la calme ville de Wakayama, surplombée par un magnifique château blanc, nous avons emprunté de belles routes qui traversent de part en part un grand nombre de collines.
Au bout d’un couple d’heures de route vers le sud, les flancs des monts se clairsement au profit de parcelles bleuies par les filets réglementaires à prunes. Nous sommes arrivés en territoire de l’Ume, là où le Bincho-Tan se cache dans la forêt.
La loge à charbon familiale des hôtes produit des Bincho-Tan si précieux qu’il y a six mois d’attente pour en obtenir. Et c’est là, grâce à eux, que nous apprenons qu’il y a Binchotan et Bincho-Tan. En effet, aucune comparaison n’est possible entre les charbons vendus dans les supermarchés, de provenances diverses et les Bincho-Tan de ces charbonniers d’exception. Un véritable trésor national. L’objectif de ces derniers est d’obtenir un charbon parfait. C’est très japonais d’avoir comme objectif la perfection. Autant dans les gestes, les postures très martiales que dans l’observation de la consumation des bûches.
Cette observation quasi permanente amène le charbonnier à déplacer à maintes reprises les bûches de fond de four avec une perche métallique d’au moins 5 mètres pour que l’air circule comme il le faut. La consumation de l’écorce est une étape cruciale, surveillée et déterminante pour la suite, elle est progressive dès après avoir mis le feu devant le foyer pendant plusieurs jours, afin de sécher l’air et le bois. C’est ainsi que le feu part du haut vers le bas dans ce four qui ne compte qu’une cheminée de dix centimètres de diamètre en son sommet par laquelle s’échappe la vapeur d’eau. Une vapeur qui est parfois recueillie pour confectionner manuellement des savons blancs d’une extrême douceur. S’en suit au moins une semaine de consumation à 1300°C pour éliminer toute matière organique.
Les Bincho-Tan ont ainsi des qualités différentes en fonction de la position du charbon dans le four. Les charbons issus du bois nécessaire pour démarrer le feu est de faible intérêt, celui de front de four donne du bon charbon pour la cuisine. Quant à celui de fond de four, qui nécessite au moins deux semaines d’attention, il est excellent pour le filtrage, si le charbonnier le décrète, évidemment. Un tel travail ne peut se faire dans des charbonnières quasi industrielles, grandes, qui exploitent le chêne vert planté, moins vieux et moins dense. Le produit qui en découle n’est pas de la même qualité. Il faut qu’un charbonnier donne son aval pour l’utilisation en tant que filtre à eau. Lui seul peut savoir si il est propre à la consommation. C’est-à-dire en quelque sorte, garantie sans résidus toxiques.
Ce qui nous a frappé le plus dans cette charbonnière, avant la chaleur sèche très agréable, c’est l’odeur de fumier de cheval. Le chêne vert sauvage coupé dégage une odeur très prononcée de crottin de cheval. Avec les courants d’air qui envahissent la loge, les effluves libérées par le bois nous surprennent.
Le bois est préparé en rondins de bonne taille pour obtenir des Bincho-Tan de grande taille. Le conservateur du musée de Minabe nous a confirmé que cette qualité de Bincho-Tan permettait avec un entretien hebdomadaire de filtrer l’eau pendant plus de dix ans, quant aux autres ils ont une durée de vie très limitée, jusqu’à 6-8 mois, même si ils sont de grande taille. Le chêne vert planté n’a pas la même densité et généralement ils font du charbon avec des arbres assez jeunes. Et cela donne des charbons assez fins. Les arbres sauvages adultes sont cuits sous forme de buches alors que les vieux arbres, plus de quarante ans, sont débités en bois de quartier du fait de leur largeur. Ceux de plus de cinquante ans ne sont plus assez denses pour en faire des Bincho-Tan. Ainsi pour obtenir du bois sauvage il faut monter de plus en plus près des sommets. Ce qui les oblige à prévoir de fabriquer de moins en moins de Bincho-Tan de cette qualité pour permettre que les arbres sauvages repoussent.
Le Bincho-Tan représente 13% de la production de charbon et seuls 20% de ces 13% sont les Bincho-Tan de la meilleure qualité pour la filtration. Ils sont refroidis dans la cendre grise de l’écorce, un marqueur de la qualité du bois et de la longue consumation, contrairement aux productions industrielles qui peuvent être refroidies à l’eau ou encore dans un mélange de terre et de cendre blanche. Mais cela favorise la moisissure qui se loge à l’intérieur du charbon.
Nous avons été émerveillés par cette expérience. Et quotidiennement notre eau est filtrée par ces Bincho-Tan.